Tout savoir sur le fil à coudre | Quelles sont les différents types de fibres textiles ? (2/4)
- Donatella Pavolini
- 14 mai 2023
Pour faire un tissu, il faut un ou plusieurs fils. Pour faire un fil, au départ il y a une fibre « textile ». Cet article existe parce que, malgré la puissance d’Internet et même en sachant plutôt pas mal chercher, je n’ai pas trouvé un seul article clair sur le sujet de base.
Donatella Pavolini
PDG France et Styliste
Temps de lecture : 2 minutes
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Temps de lecture : 5 minutes
Partie 2 : Les différents types de fibres (naturelle, chimique, « bio » et « pas bio »)
Fibre naturelle ?
Faisant suite à ce que j’ai écrit précédemment, voici quelques définitions :
- Une fibre « naturelle » est une fibre qui existe dans la nature.
- Une fibre « chimique » est une fibre produite chimiquement, elle n’existe pas dans la nature.
- Elle est dite « artificielle » si les matières premières qui la constituent existent dans la nature et qu’on a usé d’« artifices » pour en faire un fil,
- ou bien « synthétique » si elle est obtenue par synthèse.
Nous connaissons toutes la « viscose(1) ». Qu’est-ce que la viscose, alors, par exemple ? Wikipédia(2) dit : « La viscose est une matière plastique d’origine végétale (donc non issue du pétrole). Elle est obtenue en soumettant de la cellulose (n.d.r. : polymère à la base de nombreux végétaux (et notamment des plantes et des arbres) – j’espère que vous avez déjà retenu ce nom) à des traitements chimiques et physiques visant à la dissoudre et la mettre en forme. » C’est donc, d’après ma définition, une fibre « artificielle » : une matière première (la cellulose) qui existe dans la nature est traité avec l’artifice de la « chimie ».
En grossissant le trait (il faut l’espérer en tout cas) c’est un peu comme les aliments que nous ingurgitons. Un grain de blé, de riz ou d’une autre céréale, est « naturel » : il existe dans la nature. Une boîte de céréales pour le petit déjeuner (je ne vais pas les citer, mais vous voyez de quoi je parle(3)) est un aliment transformé, voire ultra-transformé, parce qu’on lui a additionné d’autres produits, eux-mêmes éventuellement transformés.
Vous allez me dire que coton, lin et laine sont travaillés avec des objets qui ne sont pas « coton, lin ou laine », des objets en bois ou en métal qui les « aident » à devenir des fils. C’est vrai, mais rien d’autre que la fibre elle-même (coton, lin ou laine) ne rentre dans la composition du fil en question. Ceux-là, donc, sont bien des « fibres naturelles » : on n’y rajoute rien.
La viscose (et la fibre issue du bambou aussi, tant pis si je ne vais pas plaire à celles et ceux qui pensent que c’est « mieux » que la viscose – quand par ailleurs il s’agit aussi de viscose, vous n’avez qu’à lire mes notes) sont traitées avec des produits chimiques complexes même si à partir de produits issus de la nature. Ils font donc, à mon sens, partie des « fibres chimiques » car ils n’existeraient pas sans ces traitements chimiques.
Et qu’est-ce que le polyester, autre fibre textile très connu ?
Le polyester est fabriqué en filant une matière plastique qui s’appelle PETL. Il est constitué de polymères (attention, vous n’avez plus le droit d’oublier ce nom). Ici on file une matière plastique synthétisée à partir du pétrole. Cette technique s’approche plus du fil craché par l’araignée et le ver à soie : il peut être infiniment long. Il est aussi long qu’on a envie qu’il le soit (bon, pour l’araignée ça dépend aussi de ce qu’elle a mangé et si elle a encore de l’énergie pour cracher). Puisqu’au départ il y a une matière synthétisée à partir du pétrole, le polyester fait partie des fibres « synthétiques ».
L’être humain, envieux de la nature et voulant se rapprocher de « dieu »(4), veut imiter ce qui existe naturellement. Alors, en s’inspirant des fibres naturelles, il a d’une part utilisé le principe des polymères cellulosiques et protéiniques pour faire du coton, du lin et de la laine « pas naturelles » et d’autre part du PETL pour faire du fil de soie « pas naturel » non plus, évidemment.
En continuant le parallèle avec les aliments, nous avons le grain de blé ou de riz (naturel), la boîte de céréales (artificiel) et pour finir ces produits créés de toutes pièces dans les laboratoires. Je ne ferais qu’un seul exemple, bien que ça ne soit pas vraiment un aliment à proprement parler, mais un « arôme » : l’arôme de banane.
Avez-vous déjà essayé de trouver ce qu’il y a dans un « arôme naturel » ? Impossible de trouver pour ma part. Au mieux, on trouvera quelque chose comme : « Catégorie : Arôme (pour denrée alimentaire) (signifiant que les composants aromatiques de cet Arôme ne sont pas tous d’origine naturelle) ». L’arôme possède-t-il la dénomination « bio » ? Vous êtes rassurées ? Cela veut dire seulement que si par chance un peu d’extrait de banane se trouve à son intérieur, eh bien ces bananes ont été cueillies dans des bananiers pas traités. Le reste, ce n’est que de la grosse chimie bien sale. Vanilline, arôme d’amande douce ou amères, arôme de banane : ce dernier est un TP de chimie de classe de seconde. De chimie, vous avez bien lu. Jamais cet arôme n’a vu une banane. Ou de la vanille.
Attention, un peu plus difficile à lire
L’arôme de synthèse de banane ne contient qu’une seule sorte de molécule : l’acétate d’isoamyle. Cette molécule avec le nom imprononçable, est … un ester. Je lis « L’acétate d’isoamyle est un ester de l’acide acétique et de l’alcool isoamylique se présentant sous la forme d’un liquide transparent incolore, à l’odeur de banane ou encore de bonbon « arlequin ». Il est présent dans les pommes mûres. Il est utilisé dans la fabrication de peintures, ou comme agent de saveur.(5) »
Et la boucle est bouclée, sans même faire exprès : ester / polyester, il suffit de mettre les « ester » dans des chaines longues, et voici le polyester !
Il est clair que la chimie colore la vie et lui donne aussi des jolis parfums. Désolée de faire des parenthèses qui n’en finissent pas, mais c’est la vraie vie qui est comme ça, à tiroirs qui s’ouvrent sur des tiroirs. Je voulais pour finir vous suggérer de regarder de nouveau les ingrédients de la boite de céréales qu’Anne aimait tant : à la fin, on trouve aussi ce bienheureux « arôme naturel ». Encore une boucle qui se ferme là où on ne voudrait pas forcément.
Revenons aux fibres synthétiques
Le fil qui en résulte est un fil continu, comme le fil de l’araignée : un fil très très long, donc. Pratiquement aussi long qu’on le laisse continuer d’être produit. En gros, un seul polymère dont les « perles » se répètent indéfiniment. Il en va de même pour le fil du ver à soie. Autant qu’il continue d’en produire, le fil est d’un seul tenant et méga long.
Quelle est la différence, alors, entre la soie et les fibres synthétiques ?
Les fibres synthétiques sont constituées de polymères synthétiques, qui n’existent pas dans la nature et qui sont fabriqués par l’homme.
On peut trouver que ça reste très vague, comme concept : l’homme faisant aussi partie de la nature, ce qu’il « produit » est aussi « naturel ». Ou pas ?
Je vois deux points avec lesquels trancher :
- Contrairement à la plante (coton, …) ou à l’animal (mouton, ver à soie, …) l’homme utilise la physique et la chimie pour fabriquer ces fibres synthétiques ou artificielles, d’où le fait qu’on les classe parmi des produits « non naturels »
- C’est le point le plus important, selon moi : Les fibres « chimiques » ne se dégradent pas facilement et agissent donc en tant que polluants dans la nature.
Aujourd’hui, les fibres chimiques, artificielles et synthétiques, représentent 70% de la production mondiale de fibres textiles. Vous pouvez faire le calcul à l’aide du graphique ci-dessous.
Outre les coûts écologiques à la production (consommation en eau, émissions toxiques dans l’eau et dans l’air), les fibres chimiques ne sont que très peu recyclées. A titre d’exemple, les matières synthétiques relâchent systématiquement aux lavages en machine des microparticules qui, pas récupérées dans les stations de traitement, finissent dans rivières, fleuves puis mers et océans. Elles font vraisemblablement partie des particules responsables des micro-billes plastiques qui envahissent les plages, les ainsi dénommées « larmes de sirène ».
Je suis arrivée au bout de ce que je voulais vous raconter autour des fibres textiles « naturelles » ou pas. Il nous reste à étudier un autre concept important : savoir si la fibre en question est obtenue de façon « bio » ou « pas bio ». Ce point implique le traitement de la fibre lors de sa préparation.
Fibre bio ?
Pour qu’une fibre reçoit le label « bio » il faut que sa préparation ait suivi une procédure respectueuse de l’environnement selon plusieurs critères. Les normes européennes sont très strictes, elles le sont moins dans certains autres pays du monde.
Coton, laine, soie mais aussi bambou, raphia et d’autres sont au départ une plante ou un animal. Plante ou animal qu’on va accompagner dans la naissance, la croissance jusqu’à l’étape où les êtres humains que vous sommes allons les utiliser pour nos besoins. Si l’animal ou la plante ont été nourries, soignées, entourées de manière éco-respectueuse pour elle-même, pour le milieu dans lequel elle ou il se trouve, et pour les personnes qui s’en sont occupées, la fibre obtiendra le label « bio » (ou autre équivalent) sinon, non. Au bout de la chaine, se trouve le label. Les producteurs vous diront que c’est assez compliqué à obtenir, et que la société entière n’est pas encore vraiment prête à sacrifier sur l’autel du « bio » une production plus abondante obtenue de manière « non bio ».
En bout de chaine, pour la consommatrice que je suis ce n’est pas facile de choisir en connaissance de cause.
- Si je choisis du coton, naturel mais « pas bio », je choisis une fibre qui a été fabriquée éventuellement de manière intensive avec une consommation d’eau excessive par des employées qui n’ont pas été traitées correctement.
- Si je choisis du bambou, pas naturel mais bio, je choisis une fibre qui a demandé un processus chimique couteux en énergie et en eau, difficilement ou pas biodégradable, mais où les règles du respect de l’environnement et du personnel ont été honorées.
Une chose est certaine : plus on consomme, plus on pousse les constructeurs à fabriquer leurs produits vite (et presque inévitablement mal) en épuisant la nature. Oui, mais… plus on consomme, et moins c’est cher aussi, direz-vous. Certes.
Qui a dit qu’avoir 50 chemises plutôt que trois assure mon bonheur ? Ne pouvons-nous pas plutôt consommer modérément, acheter des produits de meilleure qualité en plus petites quantités ?
Cela veut dire revenir à la consommation de nos grand-mères ? Une robe pour les jours de fête, une robe pour les autres jours et basta ?
Peut-être pas tout à fait. On a le droit de voir un peu plus large et un peu plus fun. En plus, nous n’avons pas la vie de nos grand-mères, ni encore moins celles des grand-mères de nos grand-mères. Nous sortons davantage, avons un travail qui nous met en contact avec les autres, une vie en société… Mais nous pouvons, tout comme nos grand-mères et les grand-mères de nos grand-mères, réfléchir à nos consommations, nos déchets (qu’elles ne connaissaient pas, je vous rappelle que les chaussettes, ça ce reprisait, un pull aussi, un jean aussi), nos besoins raisonnés. Moi, ça me va, d’être grand-mère(6) !
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Viscos
[2] Loin de moi l’idée de vous confondre les idées, mais « viscose » est un mot très générique. Il faudrait toujours spécifier « viscose de … » car nombreuses possibilités s’ouvrent à nous : viscose de bois, viscose de bambou, viscose d’eucalyptus, viscose de… coton, si, si, si. Vous connaissez peut-être la viscose d’Eucalyptus sous un autre nom : lyocell (LYOphilisation et CELLulose), mais c’est de ça dont il s’agit. Vrai de vrai. En fait, le terme « viscose » provient de la façon dont la fibre est fabriquée car il s’agitd’un liquide visqueux, tout simplement.
[3] Je ne dis pas ce que c’est, mais ma fille Anne adorait (malheureuse, et moi avec elle car je les lui achetais souvent). Voici la composition de ce paquet de « céréales » : Céréales complètes 74,3% (farines de céréales complètes (avoine 26,9%, orge 16,5%, riz 2 %, maïs 2%), blé complet 26,9%), sucre, amidon de blé, miel 3,8 %, sirop de sucre inverti, vitamines et minéraux (carbonate de calcium, vitamine C, niacine, fer, acide pantothénique, acide folique, vitamine B6, vitamine D, riboflavine), sel, huile de tournesol, mélasse, antioxydant : extrait riche en tocophérols, arôme naturel. Et un peu de chimie pour la fin, ça ne peut pas faire de mal !
[4] Voir le mythe d’Icare, par exemple
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ac%C3%A9tate_de_3-m%C3%A9thylbutyle
[6] facile, c’est ce que je suis déjà !