Pourquoi êtes vous si sensible à certaines couleurs ?
- Donatella Pavolini
- 3 juin 2022
Donatella Pavolini
PDG France et Styliste
Introspection : Naître à 60 ans
Temps de lecture : 5 minutes
Couture : tout savoir sur les encolures et cols
Temps de lecture : 7 minutes
Donc moi, à la « scuola primaria » j’adorais
l’orange et le violet. Mes dessins, mes bricolages en carton (un jour je vous expliquerai comment j’avais « inventé » le carton avec du papier et de la colle) étaient en orange et violet. Je me rappelle un portefeuille opérationnel avec pochettes rabattables et tout et tout, tout en orange et violet. Encore maintenant, j’aimerais en avoir un comme ça.
Pfff. Je me suis encore perdue. Et je vous ai à coup sûr perdues aussi.
Bon, je recommence. Beaucoup de gens, Wumi et moi comprises, avons une nette préférence pour certaines couleurs ou associations de couleurs. J’avoue, pour ma part, l’orange continue de faire vibrer mes papilles visuelles. Mais pourquoi sommes-nous ainsi plus sensibles à certaines couleurs qu’à d’autres ? Est-ce une histoire scientifique, une question de mode, de sensibilité non mieux précisée ?
Commençons par le commencement.
Et au commencement il y a : le blanc, le noir, et toutes les autres couleurs. Mais d’où viennent les couleurs ? Comment les voit-on ? Pourquoi ? Quand ?
Si vous cherchez sur internet, vous allez trouver un tas d’explications inexactes (= fausses) ou bien mal formulées. Alors, voici ma manière de présenter cette histoire, en gros faite de lumière et de capteurs.
Je vous préviens, cette première partie est un peu auch, comme disent mes enfants. Mais ne partez pas, je vous jure que c’est marrant.
On va devoir partir de très très loin.
Première partie : la lumière
On dit souvent que ce sont des « photons » qui se propagent et c’est bien vrai. Il y a une autre manière d’en parler, en disant qu’elle se propage par des « ondes » électromagnétiques. Ce sont deux manières équivalentes de voir la chose, l’une « corpusculaire » (les « corpuscules » ce sont les photons), l’autre « ondulatoire » (les ondes sont… eh bien, les ondes, justement). Ce sont vraiment des « ondes », comme celles qui se propagent dans l’eau si on jette un caillou dedans, ou comme celles qui font vibrer la corde d’une guitare si on la « gratte ». Ces dernières sont des ondes « sonores », qui ont des longueurs qui varient entre quelques centimètres à quelques mètres.
Quand on parle d’ «onde électromagnétique» on peut parler de la lumière que nous pouvons distinguer avec nos yeux, mais pas seulement. Ultraviolet, infra-rouge, les rayons du micro-onde, les rayons X comme les ondes de la radio de ma grand-mère sont tous des rayonnements électromagnétiques mais que nos yeux ne « voient » pas. Leur différence s’exprime à travers la longueur de cette onde (la distance entre une onde et la suivante), ou bien par sa fréquence (le nombre de ces ondes qu’il y a dans une durée de temps déterminée).
Sur cette image on illustre avec des images les domaines de longueur d’onde concernés (gamma – X – UV – visible – infrarouge – radio). OK, donc, j’ai un peu triché, je ne vous ai pas dit qu’il y a aussi les rayons gamma, au-delà des rayons X, mais je n’étais pas sûre que vous connaissiez.
Au-dessus des images vous voyez peut-être qu’on mesure ces « longueurs » en mètres, mais à gauche ce sont des fractions de nanomètres (ordre de grandeur des atomes), à droite on peut aller jusqu’à des longueurs d’onde de la taille de la Terre pour les « longues ondes » des radios internationales. La lumière visible a des longueurs plus courtes qu’un millième de millimètre tout au plus. C’est ça que notre œil arrive à voir. Et dans les couleurs on passe ainsi par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, du violet et jusqu’au rouge.
Mais en quoi un article dans un site que parle de fringues et de tissus est concerné par la longueur d’onde des couleurs ? Parce que notre œil est un détecteur de ces longueurs d’onde-là et pas des autres.
Maintenant, ne me demandez pourquoi ça s’appelle « spectre » visible, et ce n’est pas un fantôme, non, sinon vous allez en avoir encore pour une heure.
Si on reprend et qu’on fait semblant qu’on a tout compris, on peut attaquer la partie suivante :
La classification des couleurs
La femme (ok, et l’homme) aime bien tout ranger dans des cases. Ainsi, à la place de laisser les couleurs tranquilles dans leur coin, on a classifié les couleurs en : primaires, secondaires, tertiaires. Mais vous allez voir que c’est quand même rudement utile. Et voilà, on est parties.
Définitions
Parmi tous les rayonnements électromagnétiques existants, certains rentrent dans le domaine de ce qui est visible par notre œil : ils rentrent alors dans le « spectre visible ».
On définit « couleurs primaires » celles qui ne peuvent pas être obtenues en mélangeant d’autres couleurs. Si ensuite on mélange les couleurs primaires, on peut obtenir toutes les autres couleurs du spectre visible (ça, c’est super puissant, non ?).
Les couleurs secondaires sont obtenues en mélangeant en égales proportions deux couleurs primaires.
Les couleurs tertiaires sont obtenues en mélangeant en égales proportions une couleur primaire et une couleur secondaire.
Si ça vous est déjà arrivé de chercher des couleurs sur une application de votre ordinateur (ou peut-être aussi de votre téléphone, j’imagine, mais perso je ne fais rien avec, à part envoyer et recevoir des messages, moi, mais c’est une question de génération, vraisemblablement) vous avez déjà une petite idée de la suite.
Et comment choisit-on les couleurs primaires, me direz-vous ?
Il existe 2 méthodes distinctes pour définir les couleurs primaires :
- La méthode qui utilise les mélanges de lumière (comme dans votre téléphone, justement)
- La méthode qui utilise le mélange de matières (comme dans les tissus).
Synthèse additive : modélisation RVB (Rouge, Vert, Bleu)
Si on combine différentes lumières colorées, les 3 couleurs primaires sont :
le rouge ;
le vert ;
le bleu.
L’addition de ces 3 lumières colorées produit la lumière blanche, l’origine de toutes les couleurs, tandis que le noir est obtenu … si on éteint la lumière évidemment !
On parle de synthèse additive puisque l’on part du noir (quand il n’y a pas de lumière du tout), et on ajoute des lumières teintées jusqu’à obtenir la nuance désirée.
Synthèse soustractive : modélisation CMJ (Cyan, Magenta, Jaune)
Dans le domaine de l’impression couleur ou de la teinture des tissus, on utilise de la matière et non de la lumière. En l’absence de lumière, si on gardait les trois couleurs de tout à l’heure on aurait du mal à obtenir des teintes assez claires et différentiées, c’est pour ça qu’on utilise à la place :
- le bleu cyan ;
- le rouge magenta ;
- le jaune.
Quand on mélange ces trois couleurs sous une lumière blanche – comme celle du soleil – on obtient le noir.
Le terme soustractif est assez compliqué à comprendre, il vient du fait qu’un objet coloré absorbe une partie de la lumière incidente. Il soustrait donc de l’énergie de celle-ci.
Nul besoin d’investir dans une palette de couleurs incroyablement fournie : si on possède ces 3 couleurs de base, on peut créer n’importe quelle nuance ! C’est une question de pourcentage. D’ailleurs, si vous regardez dans votre logiciel de traitement de texte, on vous propose bien des pourcentages ou des nombres si vous voulez changer la couleur de votre « police ». Regardez ce que ça fait dans les deux cas chez moi (j’ai fait de l’orange, bien sûr) :
Ma Dona, je ne suis pas aveugle : je vois que dans la synthèse soustractive ton ordi a rajouté une quatrième couleur : c’est quoi ?
C’est le Noir.
Et pourquoi a-t-on ajouté le noir, sachant qu’on pourrait l’obtenir en mélangeant les 3 couleurs primaires ?
Par souci d’économie : la cartouche noire permet d’imprimer les documents en niveau de gris en prélevant peu dans les autres cartouches. Mas pas que : si vous mettez vos curseurs des trois couleurs à 100% vous allez voir que ça ne fait pas vraiment du noir, mais du gris très très foncé. Bon, OK, je vous montre ce que ça fait chez moi.
La première image : le « noir » fabriqué avec seulement les trois couleurs –> ça fait du gris foncé, on est d’accord, n’est-ce pas ?
La deuxième image : le noir fabriqué avec seulement du noir –> ça fait vraiment noir.
Dans les deux cas, en mélangeant deux par deux les couleurs primaires on trouve les couleurs primaires de l’autre synthèse. Évidemment alors, les couleurs tertiaires sont les mêmes dans une synthèse et l’autre : orange, vert citron, émeraude, bleu pervenche, violet et framboise. Et nous voici donc à la tête de douze couleurs « pures » ou « franches ».
En plus de ça on peut rajouter les couleurs « neutres » : le noir, le blanc et le gris.
Ces 3 couleurs neutres permettent d’obtenir des variations de couleurs infinies. Bien sûr, on pourrait les obtenir par mélanges des autres (à part le blanc), c’est une question d’économie comme le noir de tout à l’heure.
Isaac Newton, au XVII siècle, a construit un cercle chromatique, représentation schématique ordonnée des douze couleurs « pures ». Les couleurs se succèdent dans l’ordre de celles de l’arc-en-ciel. Pour fermer le cercle, la transition du rouge au violet se fait en passant par les pourpres.
Entre parenthèses, si on fait tourner le disque de Newton, composé de toutes les couleurs du « spectre visible » comme une toupie, on verra du gris. Si on fait tourner le disque en dessous (disque de Benham) qui est composé de noir et de blanc exclusivement, on verra des couleurs apparaître, différentes selon la vitesse de rotation du disque (et la sensibilité de votre œil).
Deuxième parenthèse : connaissez-vous l’origine du nombre de couleurs de l’arc-en-ciel ?
C’est encore lui, Isaac Newton. On a vu qu’il s’agit d’un « spectre », donc en vrai il y a dedans toutes les nuances qui ne sont pas vraiment réductibles à un nombre, mais voici ce qui s’est passé. Newton était passionné de Pythagore, un grand mathématicien du 6ième siècle avant notre ère. Pythagore était fasciné par le nombre 7, auquel il prêtait des vertus magiques, et vous savez peut-être que longtemps sciences et mysticisme étaient étroitement liées. Les chimistes étaient des alchimistes avant tout. Newton, donc, commença par sélectionner cinq couleurs dans l’arc-en-ciel, celles qu’il arrivait facilement à distinguer, je présume : rouge – jaune – vert – azur – violet. Mais ce nombre de 5 ne lui convenait pas, il fallait s’ajuster au mysticisme de son maître à penser. Il rajouta alors deux autres couleurs pour arriver à 7 ; c’est ainsi qu’orange et indigo (ce dernier on le distingue par vraiment dans l’arc-en-ciel, d’ailleurs) ont été intégrés. Nous apprenons toutes que l’arc-en-ciel a sept couleurs : rouge – orange – jaune – vert – azur – indigo – violet, alors que du coup on pourrait dire qu’il en a 12, au moins. Mais 7 couleurs de l’arc-en-ciel, ça va avec les 7 notes (Pythagore) de la musique, les sept jours de création de l’univers, les sept jours dans la semaine, les sept péchés capitaux, les sept merveilles du monde et les sept nains de Blanche Neige.
Un autre truc rigolo de Newton est l’affaire des couleurs « complémentaires ». Quand on mélange un couple de couleurs complémentaires, ça annule notre perception de couleur, et on voit du gris. Dans le cercle chromatique, les couleurs complémentaires sont diamétralement opposées. Mais la couleur complémentaire peut se définit aussi, et c’est là que c’est rigolo, à l’aide de la propriété de rémanence que possède notre vision (oui, notre œil et notre cerveau sont loin d’être « parfaits »). Sur un large fond blanc, on place un carré de la couleur dont on veut déterminer la complémentaire, le rouge ici.
Si on regarde longtemps cette surface, on commence à voir tout autour un halo de la couleur complémentaire. Si on retire la surface en question, on verra « carrément » le carré de la couleur complémentaire à la place !
Vous l’avez fait ? Vous avez vu le cyan qui commence à faire des ronds de carrés tout autour ? Dans le cercle chromatique, vous verrez que le cyan est parfaitement opposé au rouge. Et c’est le cas pour toutes les couleurs. Pas manchot, hein, le père Newton !
Nos yeux nous trompent !
On peut encore beaucoup jouer avec les couleurs, mais je pense que le temps est venu de vous dire une autre chose essentielle : notre œil nous joue des tours ! La rétine est formée d’une multitude de cônes sensibles chacun à une des trois couleurs : rouge – vert – bleu (tiens, tiens…) ; notre œil fait toujours l’addition entre les cônes sollicités. Selon la couleur du départ, l’interprétation de notre cerveau et la lumière qui éclaire l’objet, on ne verra pas la même couleur ! D’ailleurs, selon la coupe et l’angle de vue, déjà, on ne verra pas les mêmes couleurs au travers d’une « goutte » de cristal comme celle de cette image.
Je vous passe les détails, mais que ça soit un objet opaque, qui réfléchit les couleurs, ou un objet transparent, qui laisse passer (= réfracte) les couleurs, nos yeux nous « trompent » ! Rien n’est moins évident que d’associer une couleur à un objet, opaque ou transparent qu’il soit. Pour ne pas parler des différences de sensibilité aux couleurs entre une personne et une autre ! Ma mère voyait du vert où moi je voyais du bleu, par exemple.
La sensibilité des cônes aux couleurs (enfin, aux longueurs d’onde des couleurs, bien sûr) se superpose « un peu » entre les trois types de cônes. Si vous regardez les deux « collines » du bleu et du vert, vous voyez qu’il y a une zone où les deux sont sensibles, et d’ailleurs le rouge aussi mais plus bas. Eh bien, dans cette zone de superposition, peut-être ma mère avait plus de cônes verts que moi ! Tout s’explique !
Les couleurs habitent notre monde, dans les êtres qui le peuplent et dans les quatre éléments qui le composent.
La terre peut être ocre (dans toutes les nuances que cette « couleur » peut avoir), rouge, blanche, jaune, grise, noire ; le feu peut être bleu, vert, jaune, rouge, violet, l’eau peut « être » bleue, verte, marron, grise, rouge, violette, … Quant à l’air, elle contient toutes les couleurs du visible, puisqu’elle peut donner arc-en-ciel et aurores boréales, qui les contiennent toutes.
Et Kroskel dans tout ça ?
Dans ce monde plein de couleurs, voudrez-vous vraiment qu’on fasse des habits tout gris ? Ou tout blancs ? Ou tout noirs ?
D’ailleurs, vous n’en voyez guère chez Kroskel. Et vous y voyez même des associations « interdites », comme dirait Mamy : a-t-on jamais vu du vert ET du bleu ensemble, ma parole ! Ou, PIRE, du rose ET du orange, du violet ET du prune !
Excuse-moi de te le dire, ma pauvre Claire mais là tu as l’âge de Mamy, c’est-à-dire près de 90 ans (je ne mens pas). C’est drôle d’ailleurs, parce que ces assommeuses de règles de couleurs à ne surtout pas associer parlent bien du cercle chromatique (et vous savez son âge, à ce brave cercle), où ces couleurs sont toutes associées, pour dire qu’il ne faut surtout pas le faire…
Ici, on s’en fiche des règles des grand-mères : on vous en fait voir … de toutes les couleurs !