- Donatella Pavolini
- 14 janvier 2022
Si vous avez commencé la couture ou le stylisme, vous avez sûrement déjà entendu parlé de la difficulté de faire des cols. Confectionner un col ou un encolure ne s’improvise pas certes, mais c’est moins difficile qu’il n’y paraît. Pour débroussailler ce thème, je vous invite à remonter un peu dans le temps pour comprendre comment est née cette partie du vêtement qui entoure notre cou.
Origines de l’encolure ou avoir la grosse tête
Je vais me répéter dès le début : habiller, c’est faire de la géométrie avec le corps humain. En fait, il faudrait dire de la homométrie, du latin macaronique homo = femme (et homme, oui, aussi) et métrie = mesure, sous toutes ses coutures. Mesurons donc le haut d’un corps humain adulte (mais c’est encore « pire », si je puis dire, pour l’enfant, et pire que tout pour le bébé, dont la tête représente ¼ du corps, mais je vais détailler ça plus bas).
Circonférence de la tête : il suffit de prendre des chapeaux, de regarder les tailles inscrites à l’intérieur. On trouve autour de 53/55 pour les femmes ordinaires (donc pas moi, hors norme dès la tête, et là on ne peut pas dire que je fais exprès, c’est la nature qui fait ça, hein. Je ne suis pas « grosse » de la tête, il n’y a pas de gras dans la circonférence de la tête, et pourtant la mienne mesure 59 cm, autant dire que je ne trouve JAMAIS de chapeau à ma taille). Je mets un point parce que la phrase était déjà trop longue. Circonférence de la tête d’un homme pareillement ordinaire : 57/59. Il s’agit ici de cm.
Prenons maintenant la circonférence du cou. Vous ne la connaissez pas ? Mais si ! C’est la mesure qu’on donne quand on achète une chemise pour homme. Ça va de 37 à 45 – on parle toujours des tailles ordinaires. Et ce sont encore une fois des centimètres.
Petit aparté pour les femmes qui ont déjà accouché (les autres peuvent passer au paragraphe suivant, c’est un peu gore par ici). Outre les douleurs dues à l’ouverture d’un passage qui d’habitude est bien fermé à double tour (je parle du col de l’utérus) et que les contractions du même font progresser, nous devons, à la fin de tout ça (quand on est « à 10 » sans plus d’unité de mesure que ça) pousser pour sortir le bébé. Pour la plupart d’entre nous ça commence par la tête du bébé. En fait, pour la même plupart, ça s’arrête là, parce que le reste du petit corps passe sans problème, après le passage de cette tête. C’est curieux, comment une toute petite tête (pour celles d’entre nous qui ensuite avons allaité ce petit, au début cette tête est bien plus petite que le sein qui le nourrit) peut nous paraître ENORME lors du passage. Tout ça pour dire que les femmes qui avons accouché savons que la partie la plus grosse du bébé est bien la tête.
– 90/110 (circonférence au niveau des épaules).
Apparition de l’encolure
Depuis que la femme (et l’homme) a quitté l’himation grecque (devenue « toge » étrusque puis romaine), est né le besoin de s’habiller avec quelque chose qui passe par le haut ou par le bas et qui reste fixé au niveau des épaules. Or, vous voyez comme moi le problème :
- si je veux qu’un habit passe par le bas, il faut qu’il dépasse un endroit de un mètre de circonférence pour tenir en place au-dessus ;
- si je veux qu’un habit passe par le haut, il faut qu’il dépasse un endroit qui fait 60 cm, qui va s’élargir tout de suite après pour faire passer les épaules et qu’il tienne en place à un endroit qui fait 40 cm…
Et tout ça sans boutons, ni fermeture éclair, ni velcro.
Ainsi nait le concept d’encolure. Une sorte de détroit de Gibraltar qui sépare une mer (déjà pas mal grande = c’est la tête, dans notre référentiel d’humain) d’un océan (là, carrément gigantesque = ce sont les épaules, dans ce même référentiel).
De nouveaux habits pour l’époque
C’est comme ça qu’on inventa la tunique, vêtement en forme de T (ancêtre aussi bien de la chemise que du T-shirt !). Pendant très longtemps, c’était un sous-vêtement, pas visible à l’extérieur, donc peu importait qu’il soit très beau, du moment qu’il tenait en place. Et le type, ou la typesse car c’était parfaitement unisex, pouvait en superposer plusieurs pour avoir bien chaud, sous sa toge (à propos, c’est de là que vient le nom de la robe Toga, suivez mon regard (Cette magnifique robe n’est pas encore en ligne, je sais c’est un scandale)).
C’est pareil que mon homme, avec ses T-shirts pourris en dessous de ses habits pour aller au lycée à vélo sans salir les habits du dessus, mais ça c’est une autre histoire.
Donc le type/la typesse enfilait une « tunique », sorte de T-shirt (et vous savez maintenant que ça veut dire que les manches étaient à angle droit avec le torse) avec une encolure qui laissait passer la tête, une forme simple comme … un trou, suffisamment large pour la tête mais pas assez pour tomber. Probablement quand même ça devait se décaler sur une épaule ou l’autre, et se fixer en bas de l’une pour serrer le cou de l’autre, un truc que j’aurais détesté. Ce système inefficace a dû rapidement être remplacé par une fente verticale, guère mieux pour tenir en place mais déjà mieux pour ne pas laisser trop d’air pénétrer. Rapidement aussi on a dû inventer une sorte de laçage comme pour les sandales, ainsi qu’en pratiquant des trous à droite et à gauche de la fente verticale on a pu serrer la chemise pour qu’elle tienne en place bien au milieu.
Évolution et détournement de la tunique
Quand la partie haute de cette tunique – puis chemise – a commencé à sortir de son rôle de sous-vêtement pour s’afficher, il a fallu trouver comment rendre l’ensemble esthétique.
Le premier problème est que le corps humain n’est pas à deux dimensions, et que les trois dimensions qu’il affiche varient tout le long du corps, avec des courbes qui changent de sens tout le temps. Oui, on a déjà vu ça pour les manches, mais je voudrais remettre le doigt dessus. Parce qu’il s’agit de faire à plat (deux dimensions, donc) ce qui est rond, qui change de sens et qui est à trois dimensions. Pensons à quelque chose de plus facile : la Terre. Oui, plus facile car oui, elle est ronde, oui, elle a trois dimensions, mais non, les rondeurs ne changent pas de sens tout le temps, la courbure est partout la même, même.
Représentation 2D/3D
Avez-vous déjà vu des représentations de la Terre à plat ?
Ici, je vous montre une photo prise de loin (Google Earth, pour ne pas le nommer) et le morceau de carte à plat qui y correspond (deux extraits de planisphères trouvés sur Internet).
Tout à gauche, l’Alaska, tout à droite, le Groenland. Le satellite donne les formes photographiées de loin, les planisphères – qui doivent rendre compte de toute la Terre en même temps – en font une version aplatie qui n’est pas vraiment réaliste, ni du point de vue des formes, ni du point de vue des emplacements respectifs, ni du point de vue des tailles !
Si vous avez déjà essayé d’aplatir une peau d’orange ou de clémentine, vous savez que ce n’est pas évident.
Le mieux, me diront certaines (vous vous rappelez que par défaut je prends le féminin, n’est-ce pas), c’est d’en faire des quartiers, attachés par des petits bouts « presque » sans courbure, pourvu qu’ils soient suffisamment petits. Voici ma petite expérience avec deux oranges assez rondes qui simulent la Terre.
Yolaine dirait que je fais du #queerpeeling mais je ne sais pas laquelle est mieux queerpeelé.
Toute la peau de chaque orange se trouve dans le pelage (oui, oui, « action de peler », dit wikipedia). Il n’est pas aisé de suivre le dessin qu’on voudrait faire apparaître sur l’« habit » de l’orange, si on voulait lui remettre son pelage dessus (dans un autre sens du mot pelage) ni dans un peeling ni dans l’autre, n’est-ce pas ?
Raison pour laquelle, en couture, on essaie de faire quelque chose de visuellement plus clair, quitte à être un peu imprécis dans la représentation et à rajouter des plis pour raccorder le tout convenablement.
Il n’en reste pas moins que vous avez ici un aperçu de la complexité de la chose. Et, comme je l’ai écrit plus haut, il manque un paramètre de la difficulté, celui du changement de courbure ou point d’inflexion.
En couture, on approche le réel au mieux, et on découpe en quartiers là où c’est impossible de faire autrement.
Différence entre col et encolure
Tout le monde est encore là ?
Récapitulons.
Quand on a commencé à faire des encolures, on se fichait de savoir si c’était beau ou pas, puisque les encolures étaient pratiquées dans des tuniques ou chemises qu’on portait comme des sous-vêtements et donc invisibles à l’extérieur. (On a repris d’ailleurs cette technique quand le personnel des hôpitaux a manqué de blouses pour traiter les malades et qu’il s’en est fabriqué en sac poubelles, en pratiquant un trou pour la tête et deux pour les bras. Sans polémique, bien sûr.) On avait bien raison de les laisser dessous, puisque le corps humain a plein de défaut pour quelqu’un qui veut le reproduire à plat.
Bah, Ma Dona, c’était facile à dire ! Pourquoi ne t’es-tu (têtue !) pas contentée de ça ?
Parce que j’aime bien que les choses soient expliquées et pas balancées, voilà pourquoi. Si tu veux bien, on continue.
Origine du col dans la couture
Quand la chemise ou la tunique voulut sortir un petit peu de son trou, on lui ajouta un élément qui, lui, était prétendu pouvoir se voir puisque « beau » : une sorte d’écharpe qu’on enroulait autour du cou pour cacher la misère de cette encolure pas aboutie : et c’est ainsi que naquit la lavallière, puis la cravate, évidemment, mais aussi « le col » !
Dans sa forme la plus minimaliste, on trouve, je ne blague pas, le « je ne baise plus », un simple ruban autour du cou.
On voit la poindre, cette notion de « col » en effet : un « truc » qui va terminer joliment cette hideuse encolure qui sert pour faire rentrer la tête dans un habit. Et on voit aussi qu’au départ il n’était pas évident de l’associer dans le sens de le coudre à l’encolure : on continue de faire des encolures comme on en a toujours fait, et on leur associe des cols détachés. C’est d’ailleurs pareil pour les poignets, qui furent longtemps détachés des manches. Il faudra attendre que la chemise cesse d’être un sous-vêtement (probablement XIX siècle) pour qu’elle mérite de posséder un vrai beau col à elle toute seule.
Les différents types d’encolures
J’espère vous avoir permis de saisir la différence entre encolure (le passage obligé = le détroit) et col (la partie qui s’affiche, qu’on montre, qui met en valeur l’ouverture vers le haut d’un habit, mais qui n’a pas de caractère indispensable). L’encolure, comme l’emmanchure (voir le CNRTL pour les mots en « ure » formés avec un nom –> ensemble de ce que désigne le substantif de base, tous les tours de cou d’un côté, tous les tours des manches de l’autre) est indispensable et doit être irréprochable dans un habit pour le confort de la personne et des yeux de celles et ceux qui la regardent. Le col peut rendre l’ensemble beau, harmonieux, rigolo… si vous voulez continuer on peut rajouter : intello, vieillot, bobo, dingo ou bateau !
Il y a, en gros, trois ou quatre sortes d’encolures de base : rondes, polygoniques, avec une fente quelque part ou bien qui descendent en dessous des épaules. Avec toutes les variantes possibles, vous allez voir que ça fait un sacré paquet.
Voici certaines variantes (ou variants ? Savez-vous pourquoi celles du Covid19 sont des variants et pas des variantes ? Merci de mettre votre réponse en commentaire !) certaines variantes, donc, de l’encolure ronde.
Voici celles de l’encolure polygonale. OK, je me suis un peu lâchée, pas sûr que j’ai vu beaucoup d’encolures en pentagone, mais vous voyez l’idée.
Celles avec une fente quelque part.
Et celles qui descendent en dessous des épaules.
Et même, ces dernières, puisqu’elles n’enlacent le cou ni de près ni de loin, n’ont pas à être appelées « encolures » mais décolletés, justement, puisqu’elles laissent le cou libre (= sans encolure).
On peut rajouter bien sûr
- toutes les encolures pratiquées sur un seul côté (asymétriques)
- toutes les combinaisons entre différentes encolures
- toutes les variantes des variantes
- toutes les encolures pratiquées dans le dos plutôt que devant, évidemment
- et donc toutes les combinaisons entre une encolure devant et une derrière.
Pour les dessins, s’il vous plaît, un peu de compassion.
Je viens de découvrir et installer ce petit logiciel gratuit « Inkscape » qui me semble très bien mais que, au vu de mon grand âge, de mon ignorance dans le sujet et de mon manque de patience proverbial je ne sais visiblement pas utiliser au mieux de sa forme. Mais bon, déjà ça donne une idée et je trouve ça mieux que du papier à carreaux mal photographié en gris avec crayon méga pâle dessus. Ceci dit, s’il y a des formatrices aux logiciels comme celui-ci parmi vous, ne vous privez pas de me proposer vos services !
L’encolure et la mode actuelle : explication en images
J’imagine la gourmandise des gens qui les premières se sont rendues compte qu’elles pouvaient se lâcher sur les encolures et mettre de côté les fentes devant avec lacets (remplacés plus tard par une note marque au crocodile par trois boutons, ce qui leur affubla le nom « polo » sauf en ce qui concernait ma mère qui les appelait « chemises à trois boutons », c’est pour ça que je sais qu’il y en a trois)… Quoi ? On me dit qu’il peut y en avoir deux ? Non, pas possible, demandez à ma mère.)
Une encolure bien faite veut dire : bien pensée, appropriée à l’habit qui lui va tout autour et réalisée en tenant compte de toutes les courbures du corps humain concernées (col, épaules, bras, poitrine, dos, eh oui, ça fait beaucoup). Une encolure ainsi bien faite peut être suffisante au bonheur de l’habit, sans rajouter un col. Dans ce cas, et puisque maintenant tout est visible et rien ne reste caché, elle doit être, tout comme l’emmanchure, irréprochable. Je vous épargne tous les points critiques, c’est le travail de la couturière, mais vous le verrez sur vous-mêmes une fois enfilé, si l’encolure n’est pas parfaite, eh bien, il vaut mieux mettre un col par-dessus !
Des exemples ? Suffit de demander !
Exemple 1a : une encolure polygonale (triangle) en V profond, dans la combinaison Love-me et 1b : une encolure ronde « Bardot » dans cette combinaison Dona
Exemple 2 : une encolure asymétrique polygono/ronde dans cette robe longue Tiwa
Exemple 3 : encolure ronde « bateau » devant et polygono/carrée dans le dos dans cette robe Fleurine
À regarder autour de soi, c’est à se demander si, parfois encore maintenant, on ne met pas un col pour couvrir cette encolure que je ne saurais voir …
Vous voulez rentrer dans l’Histoire des cols ? Quoi de mieux que de passer par deux reines de France qui étaient seulement des lointaines cousines – 54 ans séparent leurs naissances respectives, et des modes très différentes dans l’habillement et notamment dans les cols ! Il s’agit de Catherine et Marie de Medici
En haut Catherine de Medici ; en bas Marie de Medici
Ici, on voit qu’on commence à afficher le col en cachant l’encolure (en haut) ou bien à afficher encolure ET col parfaitement réalisés (en bas) une cinquantaine d’année après –enfin je dirais un peu moins, parce que Catherine dans ce portrait a l’air bien plus vieille que sa cadette Marie dans la photo de droite.
Vocabulaire technique
Mais trêve de bavardages, passons aux choses sérieuses, et donc, inévitablement, à un peu de vocabulaire.
Tombant de col –> Le tombant de col, c’est la partie visible du col qui retombe sur le vêtement et qui va de la ligne de cassure jusqu’au bord externe du col. Il est plus large que la chute pour recouvrir l’encolure.
Ligne de cassure –> La ligne de cassure (ou ligne de pliure) est la ligne le long de laquelle le col est replié.
Pointe de col –> La pointe de col, c’est tout simplement ce qui termine le tombant de col. Arrondie ou pointue selon le style et le goût.
Pied de col –> Le pied de col ou chute (la plus petite partie du col) entoure le cou et va de l’encolure jusqu’à la ligne de cassure – jusqu’au tombant de col, donc. Sa hauteur peut varier selon le style. Elle est cachée par le tombant. Certains cols n’ont pas de chute.
La plupart de cols sont construits selon ce modèle.
Toutes les parties ne sont pas nécessaires pour faire un col, mais c’est l’idée générale.
Selon la présence et la taille respective des éléments qui les composes, on trouve en gros trois types de cols très distincts de par leur constitution :
- Les cols plats
- Les cols rabattus
- Les cols droits
- Le col plat n’a pas de pied, ce qui veut dire qu’il repose directement sur l’encolure. Col à la marinière et col claudine comme dans cette robe Ijou en sont des exemples.
- Le col rabattu a une chute, mais elle sera toujours moins haute que le tombant. Le col châle est un exemple.
- Le col droit possède une chute et un tombant qui sont de la même hauteur dans le dos. Col chemisier mais aussi col tailleur en sont des exemples, comme dans cette robe Anapole.
Il y a aussi des cols qui n’ont pas de tombant : col mao, col officier, mais aussi col roulé, col camionneur, col entonnoir en sont des exemples.
Ce col est utilisé dans les chemises, dans les pulls, dans les manteaux mais aussi dans certaines robes, comme dans la traditionnelle robe Qipao, dont nous nous sommes inspirées pour créer la robe Cyqipao.
Bien sûr, toutes les combinaisons sont possibles entre tous ces types, ce qui augmente considérablement leur nombre, probablement encore plus que pour les encolures.
Voilà, j’ai fait le tour de ces deux parties des vêtements qui me turlupinaient depuis un moment. C’est curieux, chez Ma Dona, ce besoin d’expliquer tout (citation libre de C’est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases, extrait des « Tontons flingueurs »)
Robe wax femme à motifs – Gaëlle
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